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15 mars 20202 Min

SI

Mis à jour : 28 déc. 2023

Rudyard Kipling

Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
 
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
 
Ou, perdre d’un seul coup le gain de cent parties
 
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
 
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre
 
Et, te sentant haï sans haïr à ton tour,
 
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
 
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
 
Et d’entendre mentir sur toi leur bouche folle,
 
Sans mentir toi-même d’un seul mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,
 
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
 
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
 
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître
 
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
 
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
 
Penser sans n’être qu’un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
 
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
 
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
 
Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
 
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
 
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
 
Quand tous les autres les perdront,

Alors, les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
 
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
 
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire,

Tu seras un Homme, mon fils.

Ce poème Si, le plus connu de Rudyard Kipling n’en est que plus émouvant quand on sait qu’il l’a écrit pour son fils unique John, alors âgé de douze ans, en 1910 et que ce dernier périra en 1915 à sa première bataille lors de la guerre 1914-18, âgé d’à peine dix-sept ans. Drame culpabilisant pour l’auteur qui l’avait un peu « poussé » dans ce choix militaire alors qu’il avait été réformé pour cause de myopie.

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